« La question est de savoir si la petite révolution à laquelle nous invite ce texte va provoquer un vrai changement culturel dans l’Église de France ? », s’interroge Paul Israël, diacre de la Mission de France, une communauté de prêtres et de laïcs qui témoignent de l’Évangile au cœur des milieux déchristianisés et populaires.

Une interpellation forte que l’exhortation apostolique Dilexi te – un texte signé par Léon XIV mais amorcé par son prédécesseur le pape François, qui entendait ainsi mettre en évidence intrinsèque vie spirituelle et engagement social. Elle rappelle aux catholiques que les pauvres sont non seulement les « trésors de l’Église », pour reprendre les mots, cités dans ce texte, du diacre saint Laurent de Rome, mais invite plus profondément à « considérer les communautés marginalisées comme des sujets capables de créer leur propre culture, plutôt que comme des objets de bienfaisance » (n. 100).

Pour Johan Glaisner, membre de la communauté de l’Emmanuel et responsable de la Mission Zachée – formation à la doctrine sociale de l’Église, « l’enjeu pour notre communauté est de taille. Nous avons déjà des actions auprès de plus pauvres, comme Fidesco pour la coopération internationale ou Le Rocher pour les banlieues, mais nous devons apprendre à agir avec les plus pauvres et non seulement pour eux. »

Unanimement salué par les personnes interrogées pour sa profondeur, ce texte, à la visée avant tout pastorale, semble dépolariser le sujet de l’engagement des chrétiens auprès des plus pauvres, contrairement à certains textes du pape François. « Ce texte a, avant tout, une grande portée spirituelle et théologique, rappelant que servir le pauvre c’est aller, comme saint François d’Assise, à la rencontre du ’’Christ pauvre, nu et crucifié” (n. 64), commente don Pierre-Antoine Belley, assistant général de la communauté Saint-Martin. Pour nous qui sommes appelés à servir en petites fraternités sacerdotales dans les diocèses, cela nous renvoie à notre vocation qui est d’être à tout à tous, et prioritairement aux plus pauvres. »

Ainsi, des diocèses bien dotés aux diocèses plus pauvres, l’enthousiasme est de mise. « C’est un fort encouragement à continuer de développer une culture de la rencontre des pauvres », lance le père Benoît Chevalier, coresponsable du pôle Charité et Mission du diocèse de Versailles. Dans ce département connu pour être l’un des plus riches de France, le diocèse travaille en effet à une transformation du regard des catholiques sur les plus défavorisés, comme l’atteste l’unique pèlerinage jubilaire à Rome du diocèse vécu avec des personnes en précarité.

Dans le diocèse d’Arras (Pas-de-Calais), l’un des départements les plus pauvres de France, où deux tiers de la population vit encore dans ces zones postindustrielles du Nord, Valérie Mandin, responsable du service diocésain de la diaconie, voit ce texte comme un grand soutien : « Cela nous invite notamment à poursuivre ’’les visitations’’, ces temps réguliers de visite des plus exclus dans les différentes paroisses du diocèse. »

Alors que depuis plus de dix ans, notamment suite à Diaconia 2013, la question de la place centrale des plus pauvres travaille les diocèses, Dilexi tesemble consacrer l’importance des services de la diaconie. À ce titre, l’exemple le plus emblématique, parmi les réalités d’Église interrogées, est probablement le diocèse de Lyon.

Pour Franck Bettendorff, responsable du pôle diaconie : « Dilexi te nous invite non seulement à faire vivre tout ce que compte notre diocèse de riches initiatives en faveur des plus pauvres. Ce texte nous pousse également à approfondir l’articulation entre la vie spirituelle et le service de la charité, et en particulier à saisir en quoi la rencontre avec les plus pauvres est le lieu d’une expérience spirituelle».Dans la capitale des Gaules, connue pour la force de son catholicisme social et dans un diocèse qui, ces dernières années, a impulsé un renouveau missionnaire, une relation fraternelle suivie entre les plus pauvres et les personnes membres des instances de décision du diocèse est en cours de réflexion. Une révolution qui ne dit pas son nom ?

Le Jubilé des pauvres